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Compétences professionnelles exquises

Les menus de code QR suscitent l'amour

May 26, 2023

Rio de Janeiro (AFP) - En feuilletant le menu relié en cuir d'un restaurant classique de Rio de Janeiro, l'Armazem Sao Thiago au sol carrelé et lambrissé, Paula Cardoso, 28 ans, dit quelque chose qui relève de l'hérésie dans cet établissement : "Je préfère les menus QR code."

Publié le : 09/06/2023 - 03:18Modifié : 09/06/2023 - 03:48

Fondé en 1919 et détenu par la même famille depuis trois générations, Armazem Sao Thiago est un endroit qui désapprouve les codes QR, ces hiéroglyphes dernier cri qui ont surgi pendant la pandémie de Covid-19, permettant aux convives méfiants d'accéder aux menus numériques sur leurs téléphones portables.

Le bar-restaurant est fier de son menu, que les serveurs en chemises blanches impeccablement repassées tendent avec déférence aux clients.

"C'est l'introduction à la maison", explique Carlos Fionda, 59 ans, gérant du restaurant - surnommé affectueusement "Bar do Gomes" - dans le quartier pittoresque à flanc de colline de Santa Teresa.

"C'est ainsi que commence l'expérience du client. Vous discutez avec lui, l'aidez à faire le meilleur choix... Pas une chose froide et impersonnelle."

Fionda n'est pas la seule à défendre la bonne carte à l'ancienne, un sujet qui attise les passions dans le monde entier.

L'État de Rio a adopté la semaine dernière une loi obligeant les restaurants et les bars à proposer des menus physiques aux clients qui n'ont pas de smartphone, qui ont des problèmes technologiques ou qui veulent simplement ignorer leurs appareils et profiter d'un repas avec leur famille et leurs amis.

Plusieurs autres États envisagent des mesures similaires.

Et le kerfuffle du code QR va bien au-delà du Brésil.

Un projet de loi comparable est en préparation à Miami, en Floride. La Colombie a adopté une mesure similaire l'année dernière. Les législateurs de la province de Mendoza, dans la région viticole argentine, poussent dans l'autre sens, avec un projet de loi qui nécessiterait une option de menu numérique.

C'est un sujet délicat dans un monde soudainement dominé par la restauration numérique.

Alors que les craintes de l'ère pandémique de la contagion transmise par la surface sont désormais un souvenir qui s'éloigne, de nombreux convives expriment leur frustration face à l'omniprésence persistante des menus numériques et à leurs inconvénients - l'agonie de naviguer sur un petit écran, les problèmes de connexion, la menace de batterie de téléphone morte, le manque de contact humain.

"Les menus de code QR sont la mort de la civilisation", a déclaré l'an dernier un chroniqueur du Washington Post.

"Putain de codes QR. Je veux juste tenir à nouveau un menu", fulminait un article dans le magazine Vice.

"Pouvons-nous enfin dire que les menus de code QR sont un gigantesque tas de merde ?" L'influenceur brésilien Felipe Neto a demandé dans un message Twitter devenu viral en mai.

Mais retenez l'hostilité, s'il vous plaît, disent les défenseurs du menu numérique.

Ils sont "beaucoup plus pratiques", explique Cardoso, la jeune responsable marketing branchée qui s'est retrouvée dans le vintage chez Armazem Sao Thiago.

"Vous pouvez y accéder sur votre téléphone, il y a plus de photos de la nourriture. Vous pouvez mieux explorer le menu. Les menus (traditionnels) vieillissent."

De nombreux restaurateurs aiment la technologie - et espèrent tranquillement que les clients apprendront à l'aimer aussi, affirmant qu'elle facilite l'innovation, la saisonnalité et la fraîcheur.

"Je viens d'ajouter de la nourriture japonaise à ma carte. Si j'avais 50 menus physiques, il faudrait que j'en change 50 exemplaires. Avec le numérique, on peut le changer en quelques minutes, sans impact environnemental", explique André Delfino, 50 ans, directeur de l'élégant restaurant Santa Teresa Casa Nossa.

La technologie "est là pour rester", prédit-il.

Au Cafe do Alto, dans un bâtiment historique près de la ligne de tramway emblématique de Santa Teresa, le copropriétaire Francisco Dantas se définit comme un traditionaliste qui préfère une expérience culinaire intime et sans technologie.

Mais il adore son menu QR code lorsqu'il s'agit de sa sélection de bières artisanales en constante évolution.

"C'est super fluide. Je peux le changer sur mon téléphone à tout moment. Il suffit d'entrer, de contrôler C, de contrôler V, d'ajouter les nouveaux", explique Dantas, 43 ans.

L'Association brésilienne des bars et restaurants souhaite que le gouvernement laisse la décision aux propriétaires.

"C'est une affaire de marché", déclare le porte-parole Jose Eduardo Camargo.

"Les deux systèmes ont leurs avantages et leurs fans."

L'association a découvert dans une récente enquête que 38 % des restaurants brésiliens ont adopté des menus numériques ; un autre 25 pour cent prévoient de le faire.

Cette ubiquité accélérée est ce qui inquiète le législateur de l'État de Rio, Rodrigo Amorim, qui a introduit la nouvelle loi.

"Nous nous dirigeons probablement vers un monde de menus entièrement numériques. Mais le changement doit être respectueux et inclusif", dit-il.

En attendant, "il n'y a rien de plus romantique que d'arriver dans un restaurant, d'avoir un menu entre les mains et de décider quoi manger", explique-t-il à l'AFP.

© 2023 AFP